TikTok et tendances alimentaires : les marques face à la viralité
En 15 secondes, TikTok peut faire exploser une tendance food. Entre buzz et responsabilité, comment les marques doivent-elles réagir ?

En quelques secondes, une recette anodine peut provoquer une rupture de stock à l’échelle nationale : bienvenue dans l’ère TikTok. Sur cette plateforme où l’algorithme dicte les désirs, les tendances alimentaires explosent, bousculent les chaînes de valeur et prennent de court les marques les plus établies. Du chocolat Dubaï à la pénurie de concombres enIslande, TikTok façonne une nouvelle grammaire du goût, imprévisible et virale.
Pour les professionnels du marketing et de la communication, ces mutations sont à la fois une opportunité à saisir… et un défi stratégique. Comment anticiper les prochains buzz ? Faut-il suivre, réagir, ou inventer ? Et surtout, comment conjuguer influence, performance et responsabilité dans un monde où une vidéo de 15 secondes peut redessiner nos assiettes et notre impact sur la planète ?
TikTok, le nouveau chef d'orchestre des tendances alimentaires
Pourquoi TikTok est plus puissant que les campagnes marketing traditionnelles ?
Autrefois perçue comme une plateforme réservée aux danses virales et aux tutoriels de maquillage, TikTok s’est imposée comme un accélérateur massif de tendances alimentaires. Avec ses formats courts, son algorithme ultra-puissant et sa capacité à toucher des millions d’utilisateurs en quelques heures, l’application redessine les règles du marketing culinaire.
Là où Instagram valorise l’esthétisme figé, TikTok mise sur l’authenticité et la répétition virale. Tout peut basculer en quelques heures : Une recette anodine, une dégustation sincère, une voix off entraînante… et c’est une vague d’achats qui déferle. Ce phénomène bien identifié sous le hashtag #TikTokMadeMeBuyIt ne concerne plus uniquement les cosmétiques ou les gadgets : il transforme en profondeur la consommation alimentaire. Et pour les professionnels du secteur, le phénomène n’est plus anecdotique, il est stratégique.
Dans le secteur alimentaire, TikTok a ouvert la voie à une nouvelle forme de prescription : ultra-rapide, émotionnelle et communautaire. Là où les campagnes marketing traditionnelles s’appuient sur des cycles longs, la plateforme impose un tempo frénétique, dicté par les vues, les partages et la viralité. Et cette viralité a des conséquences très concrètes.
Des recettes virales à la réalité du terrain, quand l'écran influence les rayons
Le concombre, star inattendue de l’été 2024
À première vue, rien de spectaculaire : une simple salade de concombre, préparée dans un contenant en plastique, avec des ingrédients du quotidien. Pourtant, cette recette proposée par le créateur canadien Logan (@logagm) a eu un effet viral démesuré, notamment en Islande où les vidéos ont été largement relayées. Résultat : une hausse brutale de la demande, des rayons vides dans les supermarchés, et une pénurie nationale de concombres en pleine saison estivale.
Dans un autre registre, le concombre farci façon street food, à déguster entier, a explosé grâce à la créatrice @souk.henna, alias "la Petite Dame So Kahina". Simple, pratique, visuellement appétissante, cette tendance a trouvé un large écho auprès des jeunes actifs, boostant encore davantage la demande pour ce légume.
El Mordjene : la pâte à tartiner qui a déchaîné la France
Créée et produite par la marque algérienne Cebon en 2021, la pâte à tartiner El Mordjene s’est faite connaître en France à partir de fin avril 2024. Son goût rappelant celui des Kinder Bueno, associé à des vidéos enthousiastes d’influenceurs, a déclenché un effet boule de neige monumental sur TikTok. Files d’attente, ruptures de stocks, consommateurs prêts à faire plusieurs magasins pour en dénicher… avant que son interdiction d’importation en Europe à l’automne 2024 ne vienne tout stopper net. L’histoire ne s’arrête pas là : face au vide laissé par El Mordjene, des marques concurrentes ont rapidement occupé le terrain, comme Nella Delice, fabriquée en Turquie, qui s’est imposée dans les rayons de Carrefour et Leclerc. Preuve que TikTok peut aussi reconfigurer un marché en quelques semaines.
Le “chocolat Dubaï” : luxe, pistaches et business mondial
D’abord produit de niche lancé à Dubaï en 2021 par Fix Dessert Chocolatier, le “chocolat Dubaï” (tablette fourrée à la pistache et aux cheveux d’ange vendue exclusivement à Dubaï à environ 16/18€ l’unité) est devenu une obsession TikTok en 2024 et 2025, après une dégustation virale de l’influenceuse Maria Vehera fin 2023 qui a généré des millions de vues. Le buzz a été tel que des marques internationales ont rapidement copié et adapté la recette, à commencer par Lindt (9,99 € la tablette) et Lidl (4,99 €).
La conséquence ? Une envolée spectaculaire du prix de la pistache, déjà affectée par une mauvaise récolte aux États-Unis en 2024, premier producteur mondial. Le kilo est passé de 15 € à près de 20 € début 2025.
Ces cas ne sont pas isolés. Ils montrent à quel point TikTok déplace le pouvoir de prescription des marques vers les créateurs de contenu, et comment un simple format vidéo peut influer directement sur les stocks de matières premières, les prix, voire la politique commerciale des distributeurs.
Le message est clair : dans l’univers alimentaire, TikTok ne se contente pas d’inspirer, il déclenche l’achat. Et pour les marques, ignorer ce phénomène, c’est risquer de le subir.
Marques alimentaires : surfer ou subir la vague Tiktok ?
Savoir capter les signaux faibles et détecter les futures tendances
Face à une viralité aussi rapide qu’imprévisible, les marques alimentaires ne peuvent plus se permettre d’attendre que les tendances soient installées pour réagir. Anticiper devient un avantage concurrentiel décisif. Et cela passe par une veille active et structurée, à l’écoute des micro-mouvements qui naissent sur TikTok.
Parmi les outils essentiels à intégrer dans une stratégie de veille :
- TikTok Creative Center : véritable mine d’or en temps réel, cet outil permet d’identifier les sons, hashtags, créateurs et publicités les plus performants par région et secteur. Une ressource incontournable pour détecter les premières émergences d’une tendance food
- TrendHunter, Exploding Topics, Glimpse : plateformes d’analyse prédictive qui captent les signaux faibles avant qu’ils n’explosent.
- Social listening : des solutions comme Brandwatch, Talkwalker ou Sprinklr permettent de scruter les conversations autour de produits, recettes ou comportements alimentaires, et d’identifier les communautés où les signaux s’intensifient.
Mais capter les tendances ne suffit pas. Savoir avec qui les activer est tout aussi crucial. Aujourd’hui, les créateurs qui font bouger TikTok ne sont plus forcément les influenceurs traditionnels aux millions d’abonnés. Ce sont souvent des créateurs de niche, ultra-authentiques, qui possèdent un fort taux d’engagement et une vraie crédibilité dans leur micro-communauté.
Les marques gagnantes sont celles qui adoptent des approches de co-création avec ces talents émergents : un chef anonyme qui crée des recettes depuis sa cuisine, une food lover qui partage ses lunch boxes maison, ou un ado passionné de cuisine végétale peuvent faire décoller une tendance plus sûrement qu’un influenceur star trop institutionnalisé.
Réagir vite mais bien : des stratégiques agiles pour des marques réactives
Dans un écosystème aussi mouvant, la rapidité d’exécution devient un avantage compétitif majeur. Les marques les plus agiles n’attendent plus six mois de développement pour lancer un produit : elles créent des éditions limitées, des gammes test ou des activations ciblées en un temps record pour capitaliser sur l’effet de tendance.
Certaines réussissent brillamment. Dès fin 2025 et début2025, Lidl et Lindt ont su réagir à la folie du “chocolat Dubaï” en lançant leurs propres versions, surfant sur la viralité du produit d’origine tout en s’appuyant sur des arguments différenciants (teneur en pistaches, prix accessible, disponibilité locale). Résultat : un buzz relayé à la fois sur TikTok et dans les médias traditionnels, et une forte croissance des ventes sur une courte période.
À l’inverse, des échecs illustrent les pièges d’une récupération trop opportuniste ou déconnectée de la culture TikTok. Certaines marques ont tenté de répliquer des tendances sans comprendre leur logique émotionnelle ou narrative, se retrouvant accusées de copier sans authenticité ou de détourner un contenu communautaire. Le manque de cohérence entre le discours de marque et la tendance d’origine peut entraîner un bad buzz, voire une perte de crédibilité.
Cela est notamment arrivé à quelques marques agroalimentaires qui ont brièvement tenté de récupérer la tendance du plat« feta pasta » devenu viral en 2021 (un plat de pâtes, tomates cerises rôties et feta fondue au four) en lançant des plats préparés qui s’en inspiraient. L’engouement n’a pas pris auprès des consommateurs, les produits se sont mal vendus et ont rapidement été retirés des rayons car l’esprit initial de la recette valorisait un aspect fait maison, simple et accessible.
En 2023, une boisson détox à base de vinaigre de cidre, de citron et de gingembre avait été lancée en grande distribution en promettant une perte de poids rapide. Problème : les arguments s’appuyaient sur des vidéos pseudo « scientifiques » et dangereuses issues des réseaux sociaux. Sur un sujet aussi sensible et controversé que la santé, la réaction de différents nutritionnistes et d’internautes ne s’est pas faite attendre et le produit a été retiré en toute discrétion.
Pour éviter ce genre de bad buzz, la maîtrise des risques réputationnels est essentielle. Cela implique :
- Une lecture éthique et contextuelle des tendances,
- Une validation juridique et RSE rapide, pour anticiper les controverses,
- Et un plan de communication en cas de backlash, incluant une posture d’écoute, de transparence et de correction
TikTok n’est pas une plateforme neutre : elle récompense l’authenticité mais sanctionne l’opportunisme mal assumé ou mal réalisé. Les marques qui veulent s’y imposer doivent penser vite, mais surtout penser juste.
Entre buzz, conscience et responsabilités : vers une influence food durable ?
Consommation instantanée vs consommation durable
Si TikTok a révolutionné la façon dont les tendances alimentaires émergent, il soulève également des questions de fond sur notre rapport à la consommation. L’emballement viral, par essence, privilégie l’instantané : ce qui plaît, ce qui surprend, ce qui donne envie d’acheter tout de suite, parfois au mépris de considérations écologiques, économiques ou sanitaires.
L’exemple de la pénurie de concombres en Islande, provoquée entre autres par la viralité d’une recette de salade sur TikTok en est un symbole fort : une recette simple et virale a suffi à déséquilibrer l offre locale. Les supermarchés ont été dévalisés, les producteurs dépassés, et les consommateurs frustrés. Le système alimentaire local, fondé sur une logique d’équilibre et de saisonnalité, a été mis sous tension… par un simple effet de tendance.
Même constat pour les pistaches, ingrédient-clé du désormais célèbre “chocolat Dubaï” : la demande mondiale a explosé sous l’effet des vidéos TikTok. Résultat : une flambée des prix au kilo, des tensions sur l’approvisionnement, une compétition accrue pour une matière première à la fois coûteuse à produire et vulnérable au changement climatique. Aux Etats-Unis, différents producteurs ont même troqué leurs exploitations d’amandes contre de la pistache afin de pouvoir espérer répondre à la demande d’ici les années à venir. Mais que se passera-t-il pour ces agriculteurs si ce buzz du chocolat Dubaï s’estompe et que d’ici quelques mois ou années la pistache ne reste pas un ingrédient tendance ?
Ces exemples posent une question centrale : peut-on continuer à alimenter des tendances globales basées sur la surconsommation sans se soucier des effets induits ? Pour les marques, TikTok peut être un levier de croissance… mais aussi un levier de pression et de responsabilité.
Pour une influence alimentaire plus éthique et transparente
Face à ces dérives, une nouvelle voie s’ouvre : celle d’une influence food plus consciente, plus durable, et plus responsable. Certaines marques et créateurs de contenu commencent à s’en emparer avec intelligence.
D’abord, en valorisant des recettes durables et des produits locaux : circuits courts, ingrédients de saison, recettes zéro déchet, fermentation maison, etc. Les challenges TikTok ne doivent pas forcément inciter à acheter : ils peuvent aussi inciter à cuisiner mieux, à valoriser les restes, à consommer local. Le format viral peut devenir un outil pédagogique ludique et engageant.
Ensuite, des initiatives émergent autour de “challenges éthiques”, comme des recettes à moins de 3€, des repas anti-gaspillage, ou des recettes “vides-frigo”. Ces formats, tout aussi viraux, prouvent que la créativité n’est pas incompatible avec un aspect éco-responsable ou du tout moins conscient.
Le rôle des influenceurs responsables est ici clé : celles et ceux qui assument un rôle d’éducation douce, sans donner de leçon, mais en partageant leurs valeurs et leurs pratiques. Et les marques ont tout à gagner à s’associer à ces profils plutôt qu’aux visages de la surconsommation rapide.
Enfin, il est crucial de mieux encadrer les messages véhiculés par les campagnes d’influence food : transparence sur l’origine des produits, respect de la réglementation, lutte contre les allégations mensongères, prise en compte de l’impact environnemental.
TikTok ne doit pas devenir le supermarché de la surconsommation instantanée. Il peut et doit évoluer vers un espace où inspiration rime avec responsabilité, où le plaisir de manger devient un acte plus réfléchi, respectueux des ressources.
TikTok, laboratoire d’avenir ou miroir des excès ?
En quelques années, TikTok a bouleversé les codes de la consommation alimentaire. De la découverte d’un produit aux rayons vidés en quelques heures, en passant par l’explosion des envies dictées par l’algorithme, la plateforme est devenue un catalyseur inédit d’innovation et de désir.
Mais à mesure que les tendances déferlent, la responsabilité des marques, des créateurs de contenu et des consommateurs devient centrale. Réagir vite ne suffit plus : il faut réagir bien, avec lucidité, cohérence, et conscience de son impact global.
Les marques alimentaires qui tireront leur épingle du jeu seront celles qui sauront conjuguer créativité, agilité et éthique. Celles qui comprendront que l’influence ne se mesure pas qu’en vues, mais aussi en confiance, en pertinence, et en durabilité.
Et si TikTok n’était pas seulement un amplificateur de buzz, mais un laboratoire pour réinventer notre façon de consommer, de cuisiner et de raconter l’alimentation ?